Aranei-Orbis
La fée Électricité
Le Grimaud

(The Fairy Electricity)




La fée Électricité


La distribution de l'électricité arriva dans le nord de la Vienne vers 1920. La ligne longeait la route départementale. Ainsi, le pavillon de mon grand-père qui bordait cette route fut l'un des tout premiers électrifiés. Les voisins voulurent voir ce que cela donnait. Mon grand-père, de connivence avec mon père qui avait alors à peu près dix ans, mirent au point un petit numéro.

Lorsque des voisins curieux venaient voir les prodiges de la technique nouvelle, mon grand-père les faisaient entrer dans la salle à manger, dont les contrevents avaient été clos à dessein. Mon grand-père laissait à son fils l'honneur de guider les curieux vers la pénombre de cette pièce. Mon père entrait le premier, restait près de la porte et dissimulait l'interrupteur électrique dans son dos.

Mon grand-père s'approchait de la table comme d'un autel. Les spectateurs répartis autour de la table au-dessus de laquelle pendait une suspension multicolore attendaient le moment où la lumière apparaîtrait. Ils s'attendaient à l'utilisation d'un équipement et à des manipulations compliquées, voire même dangereuses. On avait entendu dire que l'électricité pouvait tuer. Alors tel un prestidigitateur, à moins qu'il ne se fusse agi d'un sorcier, mon grand-père levant les bras montrait ces mains vides, il marmonnait dans sa moustache une pseudo formule magique inintelligible, accompagnée de quelques grands gestes. Il terminait par un «fée Électricité éclaire» solennelle, autoritaire qui n'acceptait aucune réplique, à haute et intelligible voix. Et, la lumière lui obéissait et se propageait instantanément dans la pièce, intense et continue.

Les gens se regardaient incrédules. Ils pensaient bien qu'il y avait un truc. Mais, ils ne savaient pas lequel. Personne n'avait encore vu et encore moins manipulé un interrupteur. Alors, mon grand-père entreprenait d'éteindre la lampe. La mise en scène était plus simple. Il s'approchait de la table se penchait et soufflait sur l'ampoule qui, telle une bougie s'éteignait, aussi soudainement qu'elle s'était mise à briller. Chacun cherchait la supercherie. Mais personne ne trouvait. Mon grand-père recommençait le numéro de l'allumage : formule magique, gestes et «fée Électricité éclaire». Et, comme la première fois, la lumière obéissait. Elle se laissait ensuite souffler plus docile qu'une vulgaire chandelle qui a l'habitude de fumer et qu'il faut la plupart du temps moucher. Mon père sans rien dire, à l'insu de tous qui n'avaient d'yeux que pour l'ampoule, manipulait l'interrupteur électrique, un bras replié dans le dos. La démonstration faite mon grand-père sortait le premier, entraînant à sa suite les voisins ébahis ; mon père repartait le dernier, démasquant l'interrupteur.

© Le Grimaud,1997


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