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Le Grimaud



 

 

La victoire à quel prix ?

Ceux qui payèrent le prix le plus fort ne la virent jamais

Je me réjouis,
qu'aujourd'hui 05-11-1998,
le premier ministre commémore
enfin le sacrifice des décimés.


A l'envers de la carte postale, le texte écrit par le grand-père de Jean-Claude Raymond.

Le 27 mars 1916
«Mon cher petit Maurice, ton papa te donne des nouvelles. Je t'envoie cette carte qui représente la victoire. Mais malheureusement, elle est bien loin de nous : il faut espérer que nous l'aurons. Où donc trouver la victoire dans un pays qui n'a plus de bras pour travailler et beaucoup de bouches à nourir ?»

Ton Papa t'embrasse bien fort et toi tu embrasseras ta maman chérie pour moi.

Raymond Casimir

Des voix s'élèvent pour dire que le premier ministre a eu tord de commémorer l'épisode dramatique de la décimation de régiments dont les hommes avaient vu disparaître 200 000 des leurs dans des attaques vaines au Chemin-des-Dames. Je n'entrerai pas dans le débat politique ; si mesquin qu'il ne vaut même pas qu'on s'y attarde. Je ne veux voir que les morts innonbrables que cette guerre, comme toutes les autres, ont faites ou malheureusement font et feront encore de par le monde déchiré. Il est facile de justifier les morts quand ils ont été tués par le camp adverse. Mais ici, nous parlons de ceux qui ont été exécutés par leurs concitoyens. Certains de ceux qui aujourd'hui s'élèvent contre l'intervention du premier ministre expliquent que ces décimations ont été nécessaires pour atteindre la victoire. Je ne cherche même pas à savoir si cela était utile ou non, c'est un autre débat. Si les morts devant les pelotons d'exécution sont mort pour rien alors ont doit respecter leur mémoire et nous excuser devant d'un tel gâchis. Si l'exécution était indispensable à la victoire, ils doivent être élevés au rang de héros parce qu'ils y ont contribué comme tous les combatants.

Nous ne sommes pas sûrs que ceux qui ont été exécutés furent ceux qui fomentèrent la mutinerie. Ou alors, il faut considérer que les conditions étaient telles que la révolte était la seule issue et partagée par tous. Je ne crois pas que cela a été le cas. Alors des innocents arrachés à leur famille, à leurs enfants quotidiennement confrontés à l'insoutenable hécatombe lugubre n'ont pas pu résister. Respectons leur désarroi, leur angoisse. Au hasard, ils ont été châtiés, pas même au nom de la justice mais pour l'exemple. Les morts ont été ajoutés aux morts, l'horreur à l'horreur. Je ne peux penser qu'aux femmes, aux parents, aux orphelins. A leur détresse fallait-il ajouter le déshonneur ? Fallait-il continuer dans cette voie ? Je dis non ! Cet épisode a contribué à rendre la guerre encore un plus insupportable. Au sortir de la guerre touss les combattants s'entendaient pour dire : «Plus jamais ça». Moins de trente ans plus tard, on sait ce qui arriva. Et, l'horreur fut encore plus épouvantable. Je me plais à croire que votre sacrifice n'a pas été vain que grâce à vous l'idée de l'Europe est née. Je vous place au panthéon des anonymes de l'Europe au même titre que ceux qui sont morts en combattant et des morts en déportation à tous les condamnés exécutés de ces périodes troublées.

Peut-être est-ce, ce 05-11-1998, la première fois qu'un homme d'état honore ceux qui ont été exécutés, dans ces conditions, une petite poignée d'années auparavant. Encore pour la première fois dans le monde, il y a seulement quelques jours, un dictateur se voit assigné en justice, par des pays tiers, pour crimes contre l'humanité commis sous son autorité. Le sacro-saint principe de l'immunité des hommes d'état est battue en brêche. Nous ne savons pas encore si les démarches entreprises aboutiront. Peu importe, l'idée fera son chemin. Il y a quelques années l'idée de la nécessité d'ingérence humanitaire naissait. Là encore, l'idée qu'un homme d'état puisse faire n'importe ce qui choque la conscience de chacun se voyait prise en compte au niveau politique. Quotidiennement, ous sommes les spectateurs et les acteurs de la construction de l'Europe. Existe-t-il une construction d'un ensemble politique aussi vaste dans le monde qui se construise pas-à-pas en collaboration entre plusieurs pays souverains ? Pour la première fois, cette entreprise n'est pas la conséquence directe d'une guerre et l'imposition de la loi du vainqueur sur le vaincu. Lorsque, j'analyse ces quelques exemples, et alors que des hommes savants prédisent la fin de l'histoire, je vois un monde nouveau qui déjà apparaît dont je pressens des orientations possibles.

Je voudrais que ces quelques mots soient un message d'espoir. Non, il n'y pas rien à faire. Mais la tâche et tellement gigantesque qu'on ne sait pas par où la prendre. Ce sera peut-être l'affaire du siècle prochain à moins que ce ne soit celle du millénaire.

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