2001-01-13
Aranei-Orbis
La Fourmi et la Cigale

Par Yvanne Trouillet


Il était une fois une jeune fourmi qui voulait découvrir le monde.
N'écoutant que sa curiosité et pas ses phéromones, elle avait délaissé
les voies de ses congénères pour suivre la sienne, au petit bonheur.

Mais on a beau avoir assez de caractère pour décider de son destin, on n'en a pas moins des besoins vitaux et il fallut bien à notre jeune fourmi trouver de quoi se substenter. La chance souriant aux audacieux, elle dénicha bientôt au creux d'un chemin une substance toute sucrée, un bonbon échappé d'une main enfantine. Quelle douceur ! Elle était là à s'en mettre plein les mandibules quand l'impression d'être observée lui fit relever la tête. Une vieille cigale, qui effectivement, la scrutait, qui engagea la conversation :

- Holà ! Jeune fourmi, Je te trouve bien affamée. Que fais-tu là toute seule ?
- Bonjour dame Cigale. J'ai quitté ma famille pour visiter le monde et comme vous pouvez le voir, je reprends quelques forces.
- Je ne savais pas qu'il existait des fourmis aventurières. Et tu comptes aller loin ?
- Aussi loin que possible et même plus encore.
- Et tu voyages sans provisions ?
- Sans provisions ! Pourquoi prendre bagage quand la nature offre toutes sortes de merveilles ? D'ailleurs si vous voulez goûter celle-ci…
- Jamais je n'aurais cru possible entendre tel discours dans la bouche d'une fourmi, fût-elle aussi jeune que tu l'es ! Je te remercie de ton invitation mais pour l'heure, je digère un moucheron. Enfin, quand tu auras fini, nous pourrons aller nous désaltérer ensemble si tu le veux bien.
- Avec joie dame Cigale ! Ça me ferait un peu de compagnie. Je n'ai pas eu beaucoup de conversations ces derniers temps. Vous me conterez ce que vous savez du monde… Ou vous pourriez même me le chanter ?
- Te chanter le monde ? Oh, oh ! Je suis un peu fatiguée, je ne sais pas si j'en aurai l'énergie nécessaire. Tu sais, la belle saison est terminée. Bientôt la bise…
- La vielle cigale se laissa alors glisser dans la rêverie, jusqu'à ce que notre jeune fourni rassasiée vienne l'en sortir pour gagner le point d'eau évoqué. Était-ce le sucre ou la conversation, toujours est-il qu'elle avait drôlement soif !

Le chemin lui parut interminable. D'autant plus que la vieille cigale avait sombré dans le mutisme. Notre jeune fourmi avait entrepris de lui raconter le début de son voyage. Elle parla jusqu'à leur arrivéee près d'un mur au pied duquel la vieille cigale s'arrêta.

- Voilà, nous y sommes.
- Nous y sommes ,

Notre jeune fourmi ne comprenait pas. Elle se demandait ce qu'elles faisaint là où assurément il n'y avait rien pour se désaltérer. Les antennes dressées, elle tentait de capter une source humide, mais pas la moindre goutte ! Elle sentait la terre, elle sentait la pierre, elle sentait toutes sortes de matières, mais en tout cas d'eau, point en vue !

- Nous y sommes, dame Cigale ? C'est bien ici ?
- Tu voulais que je chante le monde ? Installe-toi là.

Et la vieille cigale se mit à chanter. Notre jeune fourmi était de plus en plus hébétée, de plus en plus assoiffée. Elle regrettait amèrement d'avoir suivi la vieille cigale. Elle n'aurait jamais dû lui adresser la parole. Elle n'aurait pas dû être si confiante. Elle aurait dû… Mais quel chant tout de même ! Dans toute sa jeune vie de fourmi, elle n'avait jamais rien entendu de pareil. La vieille cigale contait sa longue vie de cigale d'une voix mélodieuse, les oliviers, le soleil, le ciel bleu, la guarrigue, la chaleur… C'était grave et tellement beau ! Notre jeune fourmi en oubliait sa soif.

Et soudain ses antennes se mirent à vibrer. Une première goutte tomba à côté d'elle. Puis une deuxième. Une troisième manqua de la noyer ! Ah, de l'eau ! Mais une eau au goût étrange. Notre jeune fourmi n'en avait jamais bue de telle. Une eau tiède et salée, étrange mais pas désagréable.

La vieille cigale chantait toujours…le soleil, la brise légère, la fraîcheur de la nuit, puis celle du matin, celle du jour, le fin de l'été… Puis elle se tut. A bout de souffle, à bout de vie.

Notre jeune fourmi s'approcha d'elle.

- Tu dors ?
- Mmmm… Mmmmm.
- C'était bien ce tu as chanté ! C'était magnifique ! C'était grandiose ! J'en ai des frissons. Dis, tu ne veux pas boire ?
- Mmmm… Pas maintenant… Plus tard.
- Je te laisse te reposer alors. Moi, je dois partir. Je suis très heureuse de t'avoir rencontrée. Très, très… très heureuse. Et, je ne t'oublierai pas. Ah non, ça tu peux en être sûre, je ne t'oublierai jamais et qui sait ? Peut-être qu'on se reverra , Oh, oui ! Je reviendrai te raconter le monde que j'aurai vu ! Mais sans doute pas aussi bien que toi… Bon, il se fait tard, il faut vraiment que je parte. Merci pour cette si belle chanson. Au revoir dame Cigale ! Et merci, merci encore, je viens de passer le moment le plus merveilleux de ma vie.

Et notre jeune fourmi embrassa la vieille cigale, elle la quittait avec regret mais elle devait reprendre la route. L'aventure l'appelait vers d'autres lieux.

Et tandis qu'elle s'éloignait, la vielle cigale expirait. A sa fenêtre, une jeune femme pleurait en silence la fin de l'été.

Yvanne Trouillet

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