2000-05-20
Aranei-Orbis

Les cheveux de la femme aimée

(The hair of the loved woman)


Florilège poétique par Le Grimaud



 

 

Un hémisphère dans une chevelure


Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l'odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l'eau d'une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer dans l'air.

Si tu pouvais savoir tout ce que je vois ! tout ce que j'entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l'âme des autres hommes sur la musique.

Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l'espace est plus bleu et plus profond, où l'atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.

Dans l'océan de ta chevelure, j'entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d'hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l'éternelle chaleur.

Dans les caresses de ta chevelure, je respire l'odeur du tabac mêlé à l'opium et au sucre ; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l'infini de l'azur tropical ; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m'enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l'huile de coco.

Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs. 


Charles Baudelaire, Petits Poèmes en prose, XVII.

 
Ce poème est classiquemnt rapproché des deux poèmes des Fleurs du mal : Le Parfum et La Chevelure Michel Jamet, Notice et Notes des åuvres complètes de Baudelaire chez Robert Laffont, collection Bouquins). 

La Chevelure a été présentée par Josette Perlin. À ces trois poèmes il faut en ajouter un quatrième : Parfum exotique que Josette nous offre à lire. Nous y retrouvons le thème du parfum et les images d'Un Hémisphère dans une chevelure


 
 
 
Charles Cros dans son poème Les quatre Saisons décrit par deux fois les cheveux de la femme aimée.

L'Automne

Dans l'eau tombent les feuilles sèches
Et sur ses yeux , les folles mèches.

L'hiver

Même sillage aux cheminées
Qu'en ses tresses disséminées.



 
Chez Charles Baudelaire,  la chevelure est évocatrice de tout un monde, elle est un point de départ à l'évasion, chez Charles Cros à l'inverse, les images du paysage ramènent aux cheveux.

Joachim du Bellay fut également sensible à la chevelure comme en témoigne le premier vers de trois sonnets :


 
 
Ces cheveux d'or sont les liens, Madame,
Dont fut premier ma liberté surprise,
Amour la flamme autour du cúur éprise,
Ces yeux le trait qui me transperce l'âme.

Forts sont les núuds, âpre et vive la flamme,
Le coup de main à tirer bien apprise,
Et toutefois j'aime, j'adore et prise
Ce qui m'étreint, qui me brûle et entame.

Pour briser donc, pour éteindre et guérir
Ce dur lien, cette ardeur, cette plaie,
Je ne quiers fer, liqueur, ni médecine :

L'heur est plaisir que ce m'est de périr
De telle main ne permet que j'essaie
Glaive tranchant, ni froideur, ni racine.

Joachim Du Bellay
Ces cheveux d'orÖ

 
Le style est bien différent de celui de Baudelaire ; Joachim du Bellay, imitant l'Arioste, donne ici un des meilleurs exemples de la préciosité pétrarquiste. Le poète chérit celle qui le fait souffrir d'où les métaphores du lien, de la flamme et du glaive.

 
O beaux cheveux d'argent mignonnement retors,Ö
Joachim Du Bellay in Les Regrets 
Illustration Viollet Le Duc fragment extrait de L'Encyclpédie médiévale

 
 

 
 
 

En mille crespillons les cheveux se frizer,
Ö

Joachim Du Bellay
in Les Regrets 

 
 
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Florilège poétique par Le Grimaud

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