2000-06-28

Aranei-Orbis

Florilège poétique par Le Grimaud

La Lune

(The moon)


La lune [...]. C'est la part du primitif qui sommeille en nous, vivace encore dans le sommeil, les rêves, les fantasmes, l'imaginaire, et qui modèle notre sensibilité profonde. C'est la sensibilité de l'être intime livré à l'enchantement silencieux de son jardin secret, de l'impalpable chanson de l'âme, réfugié dans le paradis de son enfance, replié dans son chez-soi, blotti dans un sommeil de la vie - sinon livré à l'ivresse de l'instinct, abandonné à la transe d'un frisson vital, qui emporte son âme capricieuse, vagabonde, bohème, fantasque, chimérique, au gré de l'aventure...[28]

 

   Ballade à la lune
 
 

C'était, dans la nuit brune,
Sur un clocher jauni,
    La lune
Comme un point sur un i.

Lune, quel esprit sombre
Promène au bout d'un fil,
    Dans l'ombre,
Ta face et ton profil ?

Es-tu l'oeil du ciel borgne ?
Quel chérubin cafard
    Nous lorgne
Sous ton masque blafard ?

Est-ce un vers qui te ronge
Quand ton disque noirci
    S'allonge
En croissant rétréci ?

Es-tu, je t'en soupçonne,
Le vieux cadran de fer
    Qui sonne
L'heure aux damnés d'enfer ?

Sur ton front qui voyage,
Ce soir ont-ils compté
    Quel âge
A leur éternité ?

Qui t'avait éborgnée
L'autre nuit ? T'étais-tu
    Cognée
Contre un arbre pointu ?

Car tu vins, pâle et morne,
Coller sur mes carreaux
    Ta corne,
À travers les barreaux.

Lune, en notre mémoire,
De tes belles amours
    L'histoire
T'embelliras toujours.

Et toujours rajeunie,
Tu seras du passant
    Bénie,
Pleine lune ou croissant.

Et qu'il vente ou qu'il neige,
Moi-même, chaque soir,
    Que fais-je,
Venant m'asseoir ?

Je viens voir à la brume,
Sur le clocher jauni,
    La lune
Comme un point sur un i.

Alfred de Musset 
(ce poème fut chanté par Georges Brassens)


©Françoise Plumey


Complainte à la Lune

en province
 

Ah ! la belle pleine Lune,
Grosse comme une fortune !

La retraite sonne au loin,
Un passant, monsieur l'adjoint ;

Un clavecin joue en face,
Un chat traverse la place 

La province qui s'endort !
Plaquant un dernier accord,

Le piano clôt sa fenêtre.
Quelle heure peut-il bien être ?

Calme lune, quel exil !
Faut-il dire : ainsi soit-il ?

Lune, ô dilettante Lune,
A tous les climats commune,

Tu vis hier le Missouri,
Et les remparts de Paris,

Les fjords bleus de la Norvège
Les pôles, les mers, que sais-je ?

Lune heureuse ! ainsi tu vois,
A cette heure le convoi

De son voyage de noce !
Ils sont partis pour l'Écosse.

Quel panneau, si, cet hiver,
Elle eût pris au mot mes vers !

Lune, vagabonde Lune,
Faisons cause et moeurs communes ?

O riches nuits ! je me meurs,
La province dans le coeur !

Et la lune a, bonne vieille,
Du coton dans les oreilles.

Jules Laforgue 
L'Imitation de Notre -Dame la Lune 


©Françoise Plumey
Voyez ! La lune...
 

Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages.
Ton regard tremble encor, belle reine des nuits ;
Mais du sombre horizon déjà tu te dégages
             Et tu t'épanouis.

Alfred Musset,
extrait de Souvenir in Poésies Nouvelles (1835-1840). 


©Françoise Plumey
Litanies

des premiers quartiers de la Lune

 

Lune bénie
Des insomnies

Blanc médaillon
Des Endymions,

Astre fossile
Que tout exile,

Jaloux tombeau
De Salammbô,

Emnarcadère
Des grands mystères,

Madone et miss
Diane-Artémis,

Sainte Vigie,
De nos orgies

Jettatura
Des baccarats,

Dame très-lasse
De nos terrasses,

Philtre attisant
Les vers luisants,.

Rosace et dôme
Des derniers psaumes

Bel oeil-de-chat
De nos rachats,

Sois l'Ambulance
De nos croyances !

Soit l'édredon
Du grand-Pardon !

Jules Laforgue 
L'Imitation de Notre -Dame la Lune


©Françoise Plumey
La lune peignait ses cheveux avec un démêloir d'ébène qui argentait d'une pluie de vers luisants les collines, les prés et les bois.
...
Aloÿsius Bertrand
Le Fou, in Gaspard de la nuit

©Françoise Plumey
 

                     Nocturne
 
 

La blême lune allume en la mare qui luit,
Miroir des gloires d'or, un émoi d'incendie.
Tout dort. Seul, à mi-mort, un rossignol de nuit
Module en mal d'amour sa molle mélodie.

Plus ne vibrent les vents en le mystère vert
Des ramures. La lune a tu leurs voix nocturnes :
Mais à travers le deuil du feuillage entr'ouvert
Pleuvent les bleus baisers des astres taciturnes.

La vieille volupté de rêver à la mort
À l'entour de la mare endort l'âme des choses.
À peine la forêt parfois fait-elle effort
Sous le frisson furtif de ses métamorphoses.

Chaque feuille s'efface en des brouillards subtils.
Du zénith de l'azur ruisselle la rosée
Dont le cristal s'incruste en perles aux pistils
Des nénuphars flottant sur l'eau fleurdelysée.

Rien n'émane du noir, ni vol, ni vent, ni voix,
Sauf lorsq'au loin des bois, par soudaines saccades
Un ruisseau turbulent roule sur les gravoois :
L'écho s'émeut alors de l'éclat des cascades.

Stuart Merrill, Nocturne in Les Gammes, 1887.
Alfred de Musset 
(ce poème fut chanté par Georges Brassens)


©Françoise Plumey
Clair de Lune

Votre âme est un paysage choisi
Que vont charmant masques et bergamasques,
Jouant du luth et dansant et quasi
Tristes sous leurs déguisements fantasques.

Tout en chantant sur le mode mineur
L'amour vainqueur et la vie opportune,
Ils n'ont pas l'air de croire à leur bonheur
Et leur chanson se mêle au clair de lune,

Au calme clair de lune triste et beau,
Qui fait rêver les oiseaux dans les arbres
Et sangloter d'extase les jets d'eau,
Les grands jets d'eau sveltes parmi les marbres.

Paul Verlaine
Fêtes galantes, 1869


©Françoise Plumey
III

La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée...

Ô bien aimée.

L'étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure...

Rêvons : c'est l'heure.

Un vaste et tendre apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...

C'est l'heure exquise.
 
 

Paul Verlaine
La bonne Chanson.



 
Florilège poétique par Le Grimaud

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Mise à jour le : 2002-10-28